Je n'avais pas relu la
Tiare d'Oribal en prenant mon temps depuis des années. C'est chose faite.
C'est un album un peu paradoxal.
Sur la forme, Martin commence à dégager un graphisme qui lui est propre, à l'issue de sa période "prototype" (
Alix l'intrépide, le Sphinx d'Or) puis "hergéo-jacobsienne" (
L'île maudite). Sa patte pour les personnages s'affirme ; quant aux décors, on distingue sans peine pour la première fois celle de Roger Leloup pour la finition et l'encrage, et la conjonction des deux talents est une réussite totale.
Sur le fond en revanche, Martin est encore un peu prisonnier des conventions de scénario de l'époque, sans doute parce la ligne éditoriale du journal Tintin et des éditions du Lombard était encore très contraignante. L'idée de départ, une couronne aux pouvoirs mystérieux, cède assez vite le pas à une histoire très classique, celle d'un jeune prince combattant un infâme usurpateur. Cet usurpateur, tel un Olrik antique, n'arrive pas à mourir pour de bon, alors qu'à la fin de l'album précédent, son destin était on ne peut plus clair. Car il s'agit bien d'Arbacès, enfer et damnation !!! "Gosh ! Hell ! Guts !" nous dirait le héros si Jean-Michel Charlier avait écrit le scénario...
Ici, je suis presque certain que Jacques Martin n'avait à l'origine aucune intention de le faire revenir, mais des pressions rédactionnelles et des lecteurs l'y ont sans doute obligé. Il faut néanmoins reconnaître que l'histoire n'aurait pas été moins bonne sans lui. Elle réserve, il faut aussi le reconnaître, peu de véritables surprises. Arbacès, notamment, est égal à lui-même et y poursuit son divertissant martyrologue vis-à-vis d'Enak...
De tous les albums de Martin, c'est sans doute le plus péplumesque (au sens européen du terme). L'auteur ne lésine pas sur le spectacle : courses, batailles, décors plus qu'impressionnants, d'autant que Martin multiplie les plans aériens (ceux de Zur Bakal sont magnifiques !). Le cadre historique est très fantaisiste : presque 300 ans après la mort d'Alexandre, le royaume d'Oribal semble avoir échappé à toute influence héllenistique, ce qui est improbable vu sa localisation, aux confins de la Mésopotamie.
Mais peu importent ces quelques défauts de fond. Dans l'album suivant,
La Griffe noire, Jacques Martin les dominera et nous livrera une histoire bien plus typiquement martinienne, c'est à dire sans manichéisme facile et à la conclusion douce-amère.
Pour sa progression formelle,
La tiare d'Oribal est un jalon important dans l'oeuvre de Jacques Martin, d'autant que
La Tour de Babel en fournira bien plus tard le contrepoint vertigineux avec son histoire sans véritable fin, et sa conclusion fort peu douce et très amère (c'est un de mes albums préférés
).