Les BD que l'on n'a pas compris

Avouons-le, le monde de la BD produit actuellement certaines œuvres assez tartignolles, qui demandent une immense bienveillance du lecteur, des efforts considérables (pour comprendre l'histoire) et une tolérance sans limite (devant certaines prétentions).

C'est l'idée qui me vient en tête en lisant une critique assez bien écrite au sujet de Sans Panique, une œuvre de Coline Hegron qui n'est probablement pas destinée à un grand avenir.



Voilà ce qu'écris Benoit Cassel sur Planète BD :  Tout est possible, tout est incertain, la narration est à dessein nébuleuse. Il est impératif d’avancer de manière linéaire, en acceptant de ne pas tout comprendre. Et de fait, au terme d’une lecture étrange, poétique, psychologique, perturbante, au fil d’un dessin aussi faussement naïf et nimbé d’une colorisation en aplats criards de teintes orange et violettes, on se demande si on a compris.

Pour moi. c'est une dessinatrice qui se fout du monde.  Et ce n'est pas le dessin "faussement naïf qui va rehausser l'intérêt.



Combien y a t-il de livres comme ça qui sortent chaque année ? il y en a beaucoup. me semble t-il, et j'essaie généralement de les éviter, même si je me laisse amadouer parfois par les dessinateurs célèbres.

Qu'en pensez-vous ? Lisez vous ce genre de choses ? Avez-vous des exemples à donner, ou des expériences à raconter dans ce domaine ?

Quand on dit dessin faussement naïf, c'est une façon polie de dire que le dessin est mauvais ?

Pas toujours ! Dans Sans panique, le dessin ne me plait effectivement pas beaucoup mais il y a des dessinateurs qui arrivent à créer un style avec leurs défauts ou leurs lacunes. Il n'est pas toujours nécessaire d'avoir d'un "beau dessin" pour faire une bonne BD. Il y a beaucoup d'exemples célèbres dans ce genre comme Claire Bretécher (certains disaient à ses débuts qu'elle ne savais pas dessiner), Régis Franc, Reiser (dont les dessins étaient refusés à ses débuts dans Pilote, il n'était donc que scénariste), Fred, Hugo Pratt, David B, Lewis Trondheim et j'en passe. Leurs dessins surprenaient le grand public au début, puis on s'est mis à trouver beau ce qu'ils dessinaient.

Je suis tout à fait d'accord avec toi. Un "bon" dessin n'est pas nécessairement "beau". Par contre un mauvais dessin restera ce qu'il est, c'est-à-dire mauvais !

Surtout quand c'st mal raconté.

À mon sens, c'est ça le pire : quand l'auteur ne sait pas raconter par son dessin. Et quand le lecteur peine à comprendre ce qu'on veut lui raconter.

Raymond a écrit:Avouons-le, le monde de la BD produit actuellement certaines œuvres assez tartignolles, qui demandent une immense bienveillance du lecteur, des efforts considérables (pour comprendre l'histoire) et une tolérance sans limite (devant certaines prétentions).
[...]
Qu'en pensez-vous ? Lisez vous ce genre de choses ? Avez-vous des exemples à donner, ou des expériences à raconter dans ce domaine ?

Je crains que cela ne se limite pas au monde de la BD, mais que ce soit commun à tous les arts, voire même que cela inonde toute production intellectuelle, dont les franges extrêmes tendent d'un côté à la niaiserie et de l'autre à la prétention et à l'imposture.

J'ai la vanité de croire que je sais assez bien dépister l'un comme l'autre, et finalement des goûts assez restrictifs   , ce qui me prémunit de l'acquisition comme de la lecture de ce type d'ouvrages. (Ce qui n'empêche pas des achats impulsifs parfois regrettés plus tard ou d'avoir quelques faiblesses un peu kitsch par-ci, par-là — l'important étant de ne pas être dupe de soi-même.)

En termes d'exemples récents et frappants de ce que tu mentionnes, Raymond, je pense à La Couleur des choses de Panchaud, improbablement couronné à Angoulême   , a réussi l'exploit de combiner et la niaiserie et l'imposture intellectuelle. Les extrêmes de touchent, dit-on souvent.

Murakami a écrit:À mon sens, c'est ça le pire : quand l'auteur ne sait pas raconter par son dessin. Et quand le lecteur peine à comprendre ce qu'on veut lui raconter.

Et parfois, Murakami, il n'y a même rien à comprendre, car l'auteur n'a en fait pas vraiment grand-chose à raconter.

La Couleur des Choses est un cas un peu à part. J'ai lu ce livre et je n'ai pas eu de peine à comprendre l'histoire (qui est plutôt malicieuse) mais je n'ai pas aimé cette abstraction inutile du dessin. Je trouve que l'imagerie fondée sur les pictogrammes est une solution de facilité et qu'elle n'a (à mon avis) pas un grand avenir. Cette nouveauté a cependant épaté les snobs et le Grand Prix d'Angoulême (qui voulait probablement récompenser l'innovation) est un peu tombé à plat, me semble t-il !

Ceci dit, l'utilisation intermittente de pictogrammes existe depuis longtemps en bande dessinée (l'exemple le plus fameux est celui de Chris Ware) et cette méthode alternative de narration n'est pas toujours sans intérêt. L'exemple le plus récent est l'album de Michel Alzeal intitulée le Monde de Pikto (le titre est déjà tout un programme) dans lequel le texte est remplacé par des pictogrammes dans les bulles et il en résulte un humour très particulier, qui est par moment irrésistible. On trouve encore assez facilement cet album en librairie car il est sorti à la fin du printemps.



J'ai chroniqué cette lecture inhabituelle dans "Je viens de lire" (message N° 760) et tu pourras mieux comprendre ce que je viens d'écrire en lisant mon message sur cette page :

https://lectraymond.forumactif.com/t60p750-je-viens-de-lire

Bien sûr, un tel humour a de l'intérêt parce qu'il est assez rare. S'il venait à être systématique, ce serait lassant.  

Je ne ferai pas entrer Le Monde Pickto dans la même catégorie que La Couleur des Choses. Le 1er a du sens et joue de façon amusante avec les codes (même si ce n'est pas mon style de BD—mais probablement plaisant à lire en modes gags en une page), le second est juste du pur f**tage de g***le qui se prend pour de l'avant-garde (il faut dire que le roi est nu).

Raymond a écrit:

C'est un bon sujet, cher Raymond, car je pense qu'il y a là du grain à moudre. D'autant que mon opinion sur Sans panique est la même que la tienne. La couverture de cette nouveauté ne m'ayant pas déplu, j'ai voulu jeter un coup d'oeil au récit : or, je n'ai effectivement rien compris : ni fil directeur, ni enjeux. Je suppose que l'autrice essaie de raconter son vécu, mais n'y comprend rien elle-même.
Quant à La Couleur des Choses, je serais tout aussi sévère que toi, Clovis Sangrail : non seulement on fait semblant de dessiner, avec je ne sais quelle palette graphique, mais en l'ouvrant je suis tombé sur des blablas plats et vulgaires qui n'ont éveillé nul intérêt chez moi, bien au contraire ! En revanche, que le jury d'Angoulême lui ait attribué le Grand Prix m'a à peine surpris : à part quelques choix exceptionnels, comme celui de Riad Sattouf, excellent narrateur (dont le dessin est très éloigné de mes goûts, mais bon, chacun les siens), ces gens mettent un vrai génie à me décevoir.

Hum hum ... ActuaBD fait une critique enthousiaste de Sans panique !

Où allons-nous, mais il est vrai que je ne connais pas la signataire de cet article.

https://www.actuabd.com/Sans-Panique-une-premiere-BD-reussie-pour-Coline-Hegron