J'avais lu cet album à l'époque de sa parution et il m'en restait le souvenir d'une sombre merde consternante.
Quelle n'a pas été ma surprise de découvrir qu'il n'en est rien !
Pourtant la couverture n'est pas très belle et me fait penser (allez savoir pourquoi) à
Astérix chez les Pictes !
Peut-être la présence de Panoramix à gauche de l'image ?
(Tiens ! Détail amusant, je remarque l'homophonie des noms du dessinateur d'Alix et du scénariste d'Astérix !)
En tout cas ce qui est sûr c'est qu'une fois de plus nous avons une reprise d'Alix avec un dessin problématique. Les physionomies sont trop souvent hideuses et éloignées du style graphique classique d'Alix.
Une belle brochette de tronches en biais
Et pourtant ici et là, inattendue et je dirai presque incongrue, une image magnifique surnage comme une pétite lumineuse et semble échappée d'un tableau de maître italien.
Si tout l'album était à ce niveau d'excellence, je n'hésiterais pas à désigner Ferry comme le successeur incontestable de Jacques Martin !
Malgré le spectaculaire démenti ci-dessus (qui reste malheureusement davantage l'exception que la règle), le dessin des personnage souffre de proportions anatomiques parfois approximatives et témoigne une fois de plus de l'incapacité chronique des dessinateurs repreneurs à s'approprier le style de Jacques Martin. Cependant Ferry est nettement plus doué que la plupart de ses confrères pour restituer les attitudes et les postures, notamment dans les scènes d'action où les personnages courent et agissent sans cette rigidité qu'on retrouve chez d'autres.
Malgré des défauts et une certaine inégalité, le dessin possède donc de sérieux atouts.
En particulier les ambiances sont vraiment bien rendues et plus d'une fois on ressent comme un je-ne-sais-quoi qui réveille les souvenirs les plus profondément enfouis: des réminiscences graphiques des tous premiers Alix, à l'époque où un Jacques Martin lui-même pas encore au sommet de son art nous emmenait déjà dans des lieux et des atmosphères similaires (
Alix l'intrépide, du côté du village de Toraya, et
Le Sphinx d'or, avec son prologue gaulois).
La forêt est sombre, pleine d'une menace sourde, non identifiée, quasi surnaturelle. Les Romains sont comme des enfants perdus. Les hauts fûts qui les entourent ne sont pas ceux des colonnades de marbre civilisées et rassurantes de leurs cités méditerranéennes baignées de soleil. Il fait lourd, froid, humide, et une tension palpable habite les pages, renforcée par ces scènes chamaniques inquiétantes qui interviennent à intervalles réguliers pour nous montrer à distance des personnages hostiles proférant de sinistres menaces envers les Romains. On n'est pas loin du thriller !
Pour ce qui est de réussir à livrer des Alix et Enak fidèles à eux-mêmes, les auteurs s'en sortent bien. Les personnages ne sont ni réinterprétés au point de les rendre méconnaissables, ni réduits à de pâles caricatures d'eux-mêmes. À noter tout de même une curieuse inversion de leurs rôles respectifs au début de l'histoire. En effet, après être un peu passé pour une mauviette geignarde dans les toutes premières pages, dès l'attaque des Romains Enak prend les choses en main et se comporte en véritable homme d'action, allant jusqu'à redynamiser l'ambiance du camp romain ! Au contraire, c'est curieusement Alix qui se retrouve capturé, emmené, fuyard, fiévreux et délirant... Bref dans la peau de l'Enak du
Dernier Spartiate ou d'
Iorix le grand. Cette permutation inattendue (et plutôt intéressante en fin de compte) est néanmoins temporaire et ne suffit pas à décrédibiliser nos héros puisqu'ils se sont malgré tout déjà trouvés dans des postures similaires par le passé, même si le trait est un peu plus appuyé cette fois-ci.
Petit détail amusant : dans la plus pure tradition alixienne, par son aura solaire notre blond héros fait une fois de plus flancher le cœur de son ennemie qui se montre trop magnanime envers lui pour son propre bien... Mais cette fois il s'agit d'une vioque ! Les jeunes femmes voire les gamines on était habitués, avec Adréa on tapait dans la milf, mais là Alix va carrément pécho du côté des EHPAD ! Sacré Alix, il les lui faut vraiment toutes.
Sinon côté scénario l'histoire tient plutôt bien la route de bout en bout, même si on n'échappe pas (facilités ou maladresses ?) à des incohérences fastidieuses.
- À la page 18 Labienus confie avoir été chargé par César d'écraser la poche de résistance de Tarania. Du coup, deux pages plus loin on suppose qu'Alix doit lui dire (hors champ) quelque chose comme "Bon ben on y va alors ?" et Labienus rétorque "Tu perds la raison ?". Euh... Ben non mon gars, tu viens de dire toi-même que c'était ta mission. T'as fait quoi depuis que tu es sur place, à part te languir ? On comprend mal l'inaction coupable du militaire, et qu'il faille l'arrivée d'Alix pour le secouer. Pire encore ! Labienus se décharge carrément de sa mission sur le dos d'Alix et c'est ce dernier qui se retrouve à devoir aller à pied à Tarania accompagné du seul Enak. Tout cela ne semble pas très cohérent mais bon.
- Cormac confie à Véros la mission de sa vie, une mission qui est susceptible de remettre en cause l'issue de la guerre des Gaules (c'est du moins la conviction des Vénètes). Or le lendemain le gars Véros est toujours à traîner dans le coin et à faire son malin car c'est jour de fête et il voulait absolument mettre sa belle toge blanche (il y a des priorités, dans la vie).
- Il finit quand même par filer avec les parchemins et se fait rattraper en moins de deux par Alix et Enak. Que les Vénètes aient choisi de les épargner passe encore, mais qu'ils les laissent carrément se carapater et courir aux trousses de celui qui peut leur faire gagner la guerre ? Pas très crédible !
- Cela dit, comme pour Labienus qui n'en branlait pas une en attendant Alix, on peut se demander pourquoi il a fallu attendre l'arrivée de celui-ci pour lancer le plan "Offense d'Oubli". Cormac aurait pu filer les parchemins à Véros et à d'autres depuis belle lurette vu que, c'est Melléda qui le dit "Les druides de l'île de Sena se transmettent son secret depuis des générations" (page 36). Genre ils avaient l'arme absolue depuis des siècles et ils se sont juste assis dessus en attendant d'être complètement envahis pour s'en souvenir ? Mouais...
La fin de l'album lorgne du côté de la grande époque martienne avec trois disparitions grandioses : celles de Véros, Melléda et Tarania. Véros s'inscrit dans la lignée de ces perdants mémorables dont les rêves de grandeur s'effondrent avec eux sous le coup de la flèche ou de la pierre du destin : Iorix, Hykarion, Tullius Carbo... Melléda rêvait d'un plus grand destin pour son peuple et assistera impuissante à sa complète déconfiture face à la puissance romaine comme Adréa ou Brutus avant elle. Et dans un finale en apothéose, Tarania s'abîme dans les flots comme en écho à la légendaire cité d'Ys voisine, et surtout à la fin de Sakhara (on la voit même surplombée par un éclair à la forme inhabituelle qui évoquerait presque une trajectoire de météorite).
Pourtant, malgré le lien de filiation irréfutable qui unit ces disparitions à celles d'albums de la grande époque, l'effet est quelque peu désarmorcé par le manque de cohérence qui préside à leur mise en scène. Véros n'est jamais qu'un vieux chauve sans arme qui fanfaronne, Melléda une vieille bonne femme sur une île à l'écart des combats... Pas ce que j'appellerais des cibles militaires prioritaires pour les légions romaines ! Si leur mort est symbolique à nos yeux de lecteurs qui avons suivi leur histoire depuis le début, en revanche on peut se demander quelle mouche a piqué leurs assassins anonymes arrivés en fin d'album pour qui ils ne représentent rien, et sûrement pas une menace.
D'ailleurs la scène de Melléda toute entière est mal fagotée. Pourquoi en pleine bataille navale Alix ressent-il le besoin impérieux d'aller la voir ? Comment se fait-il que celle-ci décide que la façon la plus efficace de détruire des centaines de parchemins... est de les brûler un par un ? Et pourquoi l'arrivée d'Alix lui fait-elle abandonner sa besogne au lieu de la faire redoubler d'ardeur ? On a le sentiment que le scénariste cherchait n'importe quel prétexte foireux pour la faire monter sur la terrasse et mourir au milieu de l'orage. C'est dommage parce que du coup cette mort emphatique qui ne tient pas debout fait très "série B".
De même la destruction de Tarania est certes très hollywoodienne mais fait bon marché de la cohérence. Rappelons qu'elle est détruite par l'attaque d'une flotte de guerre romaine. Or la page finale ne montre pas un seul bateau et nous offre à la place la vision dantesque d'une cité se désagrégeant semble-t-il sous l'effet cataclysmique des forces de la nature... Ça fait sens avec le titre de l'album mais pas du tout avec l'histoire qui vient d'être racontée (à moins que les Romains ne possèdent une arme absolue à la Axel Borg et que j'aie loupé le phylactère où on en causait ?).
Pour conclure :
- une ambiance inquiétante et un peu surnaturelle très réussie
- un dessin souvent peu "alixien" et surtout très inégal, oscillant curieusement entre le franchement laid/maladroit... et l'authentiquement beau !
- des personnages fidèles quant à l'esprit
- une filiation martienne très marquée à de nombreux niveaux de lecture
- un scénario parfois un peu facile et maladroit mais globalement de bonne tenue avec une vraie bonne histoire de sauvegarde du patrimoine d'une civilisatoin en péril
Bref je m'étonne sincèrement de la mauvaise réputation de cet album car pour une reprise je le trouve franchement pas mal du tout et plein d'atouts !
PS
(je n'ai pas lu les messages précédents avant de rédiger cet avis, afin de livrer une vision purement personnelle sans influence extérieure)