J'allais envoyer ce long texte, ci-dessous, quand j'ai vu que Treblig et surtout Michel se sont intercalés dans la discussion. J'envoie quand même mon texte sans répondre aux nouvelles questions de Michel (surtout que je réagissais à la phrase de Michel qui a parlé précédemment des lecteurs peu difficiles et "
amateurs de daube").
Michel Jacquemart a écrit:Quand des scénaristes donnent l'impression de ne pas s'être donné la peine d'avoir lu avec toute l'attention requise les albums de la série qu'ils sont sensés reprendre, cela ne présage rien de bon... Mais s'il se trouve des amateurs de daube, grand bien leur fasse !
Eh bien, Damned et Michel, je ne suis pas d'accord... Pas d'accord, du moins, sur votre intrangisance. Certes, il faut bien qu'un repreneur lise ou relise la série qu'il va reprendre, histoire de "sentir" le truc et d'avoir des éléments de base, du genre : qui fait quoi ? Qui est mort ? (pour ne pas faire revenir dans l'épisode n°35 un type assassiné dans l'épisode n°23 par exemple). Mais au risque de me répéter (pour la trois millionième fois), une BD, c'est d'abord 1) une bonne histoire, 2), une bonne histoire et 3) une bonne histoire (et un bon dessin aussi, je prends les devants parce qu'on va encore me faire la remarque et se lancer dans une discussion à n'en plus finir là-dessus). Mais pour le reste : une BD est une FICTION, sujette à l'inspiration de son scénariste (ou de ses scénaristes successifs). Le principal, c'est déjà d'avoir une bonne histoire, et si on pouvait avoir ça dans beaucoup de reprises (je ne cite aucun éditeur ni aucun auteur concernés, que chaque lecteur se fasse sa propre liste), je dirais qu'on aurait franchi un grand pas.
En outre, combien de scénaristes créateurs de leurs propres personnages ne connaissent pas eux-mêmes tout le pédigrée des héros ? Il y a eu récemment sur centaurclub une discussion au sujet de l'origine de Sonny Tuckson dans Buck Danny : est-il du Texas, d'un autre Etat des USA, ou même d'Irlande ? Intéressant de se poser la question et d'en discuter sur un forum. Mais Charlier lui-même a varié au fil des épisodes ! (d'où la discussion sur centaurclub). Ca ne l'a pas empêché de "tenir" sa série pendant 45 ans et de publier 44 albums, qui restent parmi les meilleurs scénarios d'aviation en Europe. Dans Blueberry, il s'est planté aussi dans des détails, que Giraud n'a pas relevés non plus, comme par exemple le prénom de Blueb qui était Steve au début et qui est devenu Mike par la suite. Et alors ? Catastrophe ? Echec ? La série a plongé vers les abysses ? Au contraire, ça reste un des meilleurs westerns européens en BD.
Et j'ose le dire : en tant que lecteur, ce genre de détails (il y en a toute une liste que je pourrais citer), je m'en contref... Car je n'attends qu'une chose : qu'on me raconte une belle histoire... Et vous savez pourquoi je ne me préoccupe pas de ce genre d'incohérences (j'entends : celles qui sont poussées à l'extrême par Michel, dans les exemples qu'il a donnés) ? Parce que, en tant que personnage de fiction, un héros de BD n'existe pas réellement, et donc n'a pas existé réellement auparavant (et il n'a pas non plus de futur
réel). Et parce que j'ai une tournure d'esprit qui fait que je considère chaque épisode de n'importe quelle série de fiction comme une parenthèse, un a-parté, où le héros part de zéro ou presque : personnage intemporel et toujours (à peu près) du même âge qu'à ses débuts, il vit une nouvelle aventure qui pourrait et semble bien être la première, mais qui pourrait être en même temps la 50e ou la 100e ; il démarre une nouvelle enquête comme un éternel recommencement, il obéit à un nouvel ordre de mission comme il pourrait obéir à des milliers d'autres ordres du même tonneau. Etc. S'il y avait 300 auteurs sur le coup en même temps, il pourrait y avoir 300 histoires différentes avec le même personnage, sortant sous forme d'autant d'albums en librairie le même mois.
Dans le même ordre d'idée, pourquoi vouloir absolument dater très précisément les histoires ? Ce sont des histoires de FICTION, se déroulant globalement dans un monde relativement intemporel - sauf cas particuliers bien sûr -, écrites comme ça, au coup par coup, sans penser à ce que, dans 20 ou 50 ans, tel ou tel lecteur pensera de la série dans son ensemble, et bien sûr sans établir de plan de carrière (pour les héros). A lire Michel, on dirait qu'il faut retrouver le parcours de chaque héros (de fiction, insistons bien là-dessus), comme le ferait un type âgé de 60 ans qui s'apprête à prendre sa retraite et qui essaye de retrouver tous ses bulletins de salaire depuis ses 18 ans, et à défaut de bulletin de salaire, d'essayer de retrouver des documents prouvant que, par exemple, du 2 septembre 1963 au 10 janvier 1965, il a été engagé comme commis chez le boucher charcutier de son village, que du 11 janvier 1965 au 3 février 1965, il a été en arrêt maladie parce qu'il s'est coupé un doigt en découpant un jambon, etc. Je répète ce que j'ai dit plus haut : ce quadrillage de la vie d'un héros de fiction, c'est de l'anti-poésie, de l'anti-création. En outre, vouloir calquer un tel être immatériel à quelque chose d'aussi concret qu'une chronologie historique réelle, c'est pour moi à la fois impensable et impossible. Que Michel dise que s'il n'y a pas cette recherche précise et pointilleuse, la BD sera "
de la daube", c'est une lourde erreur, puisque ce qui compte, c'est que le scénariste engagé raconte une bonne histoire, et qu'il le fasse avec la science du vrai scénariste de BD (don du découpage, de la mise en scène, du dialogue, etc). Il peut y avoir une recherche pointilleuse et précise en amont pour ne pas laisser d'incohérences au niveau de la série... mais si le scénariste est mauvais en tant que raconteur d'histoire, le scénar sera quand même de la daube ! Ca n'a rien à voir.
Selon ce qu'explique Michel, il faudrait concevoir qu'une série BD s'établisse épisode après épisode comme on écrit un dictionnaire historique et chronologique (exemple : Histoire de la France et des Français au jour le jour, par Decaux et Castelot, chez Perrin édition ; j'ai la série chez moi). Mais c'est tout autre chose. C'est un autre domaine de la littérature.
Mais en disant tout cela, je ne critique pas l'attitude de Michel : son souci de la vraisemblance est louable. Mais il est hélas secondaire, le principal souci étant, pour tout scénariste, de nous pondre une bonne histoire qui nous fasse rêver.