Je viens de relire l'analyse de cet album que j'avais publiée sur le site "Alix l'intrépide", voilà déjà un certain temps. Je ne vois pas ce que je pourrais ajouter aujourd'hui à la partie critique. En revanche, la partie historique pourrait être plus étoffée.
Je me souviens, en effet, qu'un autre correspondant du Forum m'avait fait remarquer à l'époque que j'aurais pu être plus complet sur la Cyrénaïque, où se déroule l'histoire, et qui est une région assez mal connue.
Comme je viens de retrouver mes notes d'alors, je vous propose un petit voyage dans ce pays, ainsi qu'une excursion chez les Garamantes, dont il est également question dans cet album.
LA CYRENAÏQUE
Elle est présentée dans l'album comme un pays semi-désertique et quasiment vierge, seulement habitée par des tribus assez primitives, et que l'on colonise encore à l'époque d'Alix. Vous allez voir qu'il n'en était rien.
C'est la partie est de l'actuelle Libye, entre l'Egypte et la Grande Syrte ; on l'appelle aussi le pays de Barka ; à l'ouest, dans une région très fertile, se trouvait, selon la légende, le jardin des Hespérides.
Si le rivage de la Grande Syrte était peu peuplé, la région plus occidentale, la Tripolitaine, fut longtemps sous influence carthaginoise, mais elle ne nous intéresse pas pour l'instant.
Le Cyrénaïque était peuplée par plusieurs tribus dont je reparlerai. Elle se trouve exactement au sud du Péloponnèse, à 500 km environ. C'était donc un lieu d'émigration rêvé pour des colons Grecs, pas trop éloigné de la mère patrie et dont ils pouvaient espérer tirer un bon rapport, d'autant plus que l'oracle de Delphes, consulté, conseilla de créer un établissement permanent, ce qui fut fait au -VII° siècle.
Le fondateur de la colonie grecque fut un certain Battus, qui créa la dynastie des Battiades. La réussite ne fut pas d'emblée au rendez-vous : le premier établissement se révéla impropre à l'élevage du bétail, et l'oracle de Delphes, à nouveau sollicité, en suggéra un autre. Finalement, la colonie prospéra, grâce à plusieurs immigrations grecques successives, surtout entre -574 et -554.
Les colons grecs produisaient du blé, du vin et de l'huile, ainsi que du silphium, un arbrisseau fournissant des médicaments et des condiments dont on faisait grand cas dans l'Antiquité.
Les Grecs fondèrent de nombreuses villes, soit, d'ouest en est :
-Hespéridès, qui devint Bérénice, aujourd'hui Benghazi,
-Teucheira, qui devint Arsinoé, aujourd'hui Tankra,
-Ptolémaïs, aujourd'hui Tolmeïta, qui est le port de Barca ou Barcé, fondé en -550 à 5 lieues de la mer et qui fut la capitale au temps des Ptolémées,
-Apollonia, aujourd'hui Marsa Sausa, qui est le port de Cyrène, contruite à 4 lieues de la mer et qui donna son nom au pays.
Ces villes constituaient la Pentapole ( = 5 cités ) et il y avait aussi, toujours en allant vers l'est :
- Nausthathmus, aujourd'hui Marsa-el-Hallal,
- Darnis, aujourd'hui Derna,
-Axylis.
Les populations locales, sédentaires, cultivaient la terre avec les colons grecs, d'abord en bonne intelligence. Les principales tribus étaient :
-Les Asbystes, près de Cyrène,
-Les Auschisae, près de Barca,
-Les Cabales, près de Teucheira,
-Les Nasamones, qui nomadisaient avec leurs chevaux et leur bétail, commerçant avec l'Afrique centrale.
Le commerce de la Cyrénaïque, très actif, est attesté par les nombreuses monnaies retrouvées sur place, et concernait la Grèce, la Crète, Rhodes et l'Asie mineure ( Milet, notamment ).
Entre -550 et -450, de nombreux conflits éclatèrent, d'abord entre les Grecs ( qui n'auraient pas été de vrais Grecs sans cela ! ) puis entre Grecs et Libyens. Je n'en donne pas le détail, mais les Libyens finirent par appeler les Egyptiens au secours. La victoire favorisa l'un ou l'autre camp, alternativement, jusqu'à ce que les Perses de Cambyse mettent tout le monde d'accord en occupant les deux pays.
Avec la conquête d' Alexandre, ils passèrent ensuite dans l'orbite macédonienne, puis la royauté des Ptolémées. En -117, la Cyrénaïque fut érigée en royaume indépendant au profit d'un bâtard de Ptolémée Physos, nommé Apion ; celui-ci mourut en -95 sans héritier et légua son royaume à Rome.
Comme partout, Rome garantit les libertés et les institutions contre un tribut. Après une période d'agitation et l'intervention du général romain Lucullus ( le gastronome bien connu ), la Cyrénaïque, associée à la Crète, devint province romaine en -67. Tel est son statut au moment du récit.
Par la suite, la province resta prospère, malgré une violente révolte des Juifs en 115-117, et cela jusqu'à l'invasion arabe en 642.
Il exista une école philosophique de Cyrène qui fut fondée par Aristippe, disciple de Socrate, mais l'influence de ce dernier fut restreinte. Cette école s'occupa surtout de la personne morale de l'homme, et proclama que toute sagesse consiste à rechercher le plaisir et à éviter la peine, recommandait la tempérance et la modération pour éluder les conséquences pénibles des excès. Elle accorda une large part aux plaisirs de l'esprit à côté des plaisirs du corps : "posséder et n'être pas possédé". Cette école fut éclipsée par l'épicurisme.
On voit donc qu'il s'agit d'un pays ayant déjà une longue histoire, propère et civilisé, ayant donné aussi bien des négociants et des guerriers que des penseurs, et en contact permanent avec ses voisins. On retrouve dans ce récit un rapprochement entre deux périodes historiques séparées par pas moins de 6 siècles !
LES GARAMANTES
Dans l'album, on les rencontre sous le nom de Garmantes et présentés comme un peuple africain. En fait, ils vivaient au sud de la Libye, près du massif du Fezzan, nommé Phazanie à l'époque.
Leur nom signifie "les gens des maisons", en berbère ancien. Les nomades de la région désignaient donc ainsi des sédentaires. Ils étaient prospères, grâce au commerce trans-saharien entre les pays méditerranéens et ceux de la savane africaine, vers le fleuve Niger et Gao. Carthage était leur principal débouché, pour l'ivoire, les métaux précieux et les esclaves. Ils constituaient également la cavalerie carthaginoise, étant éleveurs de chevaux et conducteurs de chars à 4 chevaux. Ils cultivaient des céréales, des légumes, des dattiers, des figuiers et la vigne. Il fallait 30 jours de caravane ( puis seulement 20 jours par une meilleure route ) pour aller de leur capitale, Garama, à Leptis Magna, sur la côte, près de Tripoli.
Je ne donne pas habituellement d'informations sur des évènements postérieurs à l'époque d'Alix, mais ceux-ci me paraissent intéressants. En -20, le proconsul romain Cornélius Balbus partit à la conquête du pays des Garamantes et s'empara de Garama, aujourd'hui : Germa. Il s'ensuivit une révolte, puis la paix, mais en 70, les Garamantes aidèrent les habitants d'Oea ( Tripoli ) à piller Leptis Magna. La Pax Romana ne s'étendra sur la région que sous le règne de Septime Sévère ( 193-211 ) qui était né à Leptis Magna en 146.
Les routes devenant enfin sûres, le commerce se développa et ce fut l'apogée des Garamantes, qui se convertirent au christianisme en 569.
Auparavant, sous Domitien, entre 83 et 92, un émule d'Alix, Julius Maternus, accompagna le roi des Garamantes au pays d'Agysiarba ( situé entre Aïr, Tchad et Tibesti ), "où abondent les rhinocéros". Son voyage dura 4 mois et 14 jours.
Que reste-t-il des Garamantes ? Outre Garama, l'ancienne capitale, avec son mausolée romain datant du règne de Domitien, les vestiges sont nombreux. Les nécropoles de l'oued El-Agial comptent 60 000 sépultures, dont des pyramides en argile ou revêtues de pierres, et on y a retrouvé des objets en verre venant de Gaule, d'Italie et de Syrie. Près de là, Ziuchecra est le plus ancien site d'habitat, avec 300 maisons. A Ganiat Gebril du I° au III ° siècle, on trouve des ateliers de céramiques, de forgerons, de vanniers et de tisserands.
Dans l'Antiquité, le pays des Garamantes était célèbre pour ses gemmes, escarboucles et amazonites, mais les "émeraudes des Garamantes", chères à Théodore Monod, restent du domaine de la légende.
Dans "Don Quichotte", Cervantès donne à un roi des Garamantes le nom de Pentapolin, manifestement inspiré de la Pentapole de Cyrénaïque ; il n'était pas le premier à prendre Le Pirée pour un homme !
Et voilà ! A vous de commenter !
Je me souviens, en effet, qu'un autre correspondant du Forum m'avait fait remarquer à l'époque que j'aurais pu être plus complet sur la Cyrénaïque, où se déroule l'histoire, et qui est une région assez mal connue.
Comme je viens de retrouver mes notes d'alors, je vous propose un petit voyage dans ce pays, ainsi qu'une excursion chez les Garamantes, dont il est également question dans cet album.
LA CYRENAÏQUE
Elle est présentée dans l'album comme un pays semi-désertique et quasiment vierge, seulement habitée par des tribus assez primitives, et que l'on colonise encore à l'époque d'Alix. Vous allez voir qu'il n'en était rien.
C'est la partie est de l'actuelle Libye, entre l'Egypte et la Grande Syrte ; on l'appelle aussi le pays de Barka ; à l'ouest, dans une région très fertile, se trouvait, selon la légende, le jardin des Hespérides.
Si le rivage de la Grande Syrte était peu peuplé, la région plus occidentale, la Tripolitaine, fut longtemps sous influence carthaginoise, mais elle ne nous intéresse pas pour l'instant.
Le Cyrénaïque était peuplée par plusieurs tribus dont je reparlerai. Elle se trouve exactement au sud du Péloponnèse, à 500 km environ. C'était donc un lieu d'émigration rêvé pour des colons Grecs, pas trop éloigné de la mère patrie et dont ils pouvaient espérer tirer un bon rapport, d'autant plus que l'oracle de Delphes, consulté, conseilla de créer un établissement permanent, ce qui fut fait au -VII° siècle.
Le fondateur de la colonie grecque fut un certain Battus, qui créa la dynastie des Battiades. La réussite ne fut pas d'emblée au rendez-vous : le premier établissement se révéla impropre à l'élevage du bétail, et l'oracle de Delphes, à nouveau sollicité, en suggéra un autre. Finalement, la colonie prospéra, grâce à plusieurs immigrations grecques successives, surtout entre -574 et -554.
Les colons grecs produisaient du blé, du vin et de l'huile, ainsi que du silphium, un arbrisseau fournissant des médicaments et des condiments dont on faisait grand cas dans l'Antiquité.
Les Grecs fondèrent de nombreuses villes, soit, d'ouest en est :
-Hespéridès, qui devint Bérénice, aujourd'hui Benghazi,
-Teucheira, qui devint Arsinoé, aujourd'hui Tankra,
-Ptolémaïs, aujourd'hui Tolmeïta, qui est le port de Barca ou Barcé, fondé en -550 à 5 lieues de la mer et qui fut la capitale au temps des Ptolémées,
-Apollonia, aujourd'hui Marsa Sausa, qui est le port de Cyrène, contruite à 4 lieues de la mer et qui donna son nom au pays.
Ces villes constituaient la Pentapole ( = 5 cités ) et il y avait aussi, toujours en allant vers l'est :
- Nausthathmus, aujourd'hui Marsa-el-Hallal,
- Darnis, aujourd'hui Derna,
-Axylis.
Les populations locales, sédentaires, cultivaient la terre avec les colons grecs, d'abord en bonne intelligence. Les principales tribus étaient :
-Les Asbystes, près de Cyrène,
-Les Auschisae, près de Barca,
-Les Cabales, près de Teucheira,
-Les Nasamones, qui nomadisaient avec leurs chevaux et leur bétail, commerçant avec l'Afrique centrale.
Le commerce de la Cyrénaïque, très actif, est attesté par les nombreuses monnaies retrouvées sur place, et concernait la Grèce, la Crète, Rhodes et l'Asie mineure ( Milet, notamment ).
Entre -550 et -450, de nombreux conflits éclatèrent, d'abord entre les Grecs ( qui n'auraient pas été de vrais Grecs sans cela ! ) puis entre Grecs et Libyens. Je n'en donne pas le détail, mais les Libyens finirent par appeler les Egyptiens au secours. La victoire favorisa l'un ou l'autre camp, alternativement, jusqu'à ce que les Perses de Cambyse mettent tout le monde d'accord en occupant les deux pays.
Avec la conquête d' Alexandre, ils passèrent ensuite dans l'orbite macédonienne, puis la royauté des Ptolémées. En -117, la Cyrénaïque fut érigée en royaume indépendant au profit d'un bâtard de Ptolémée Physos, nommé Apion ; celui-ci mourut en -95 sans héritier et légua son royaume à Rome.
Comme partout, Rome garantit les libertés et les institutions contre un tribut. Après une période d'agitation et l'intervention du général romain Lucullus ( le gastronome bien connu ), la Cyrénaïque, associée à la Crète, devint province romaine en -67. Tel est son statut au moment du récit.
Par la suite, la province resta prospère, malgré une violente révolte des Juifs en 115-117, et cela jusqu'à l'invasion arabe en 642.
Il exista une école philosophique de Cyrène qui fut fondée par Aristippe, disciple de Socrate, mais l'influence de ce dernier fut restreinte. Cette école s'occupa surtout de la personne morale de l'homme, et proclama que toute sagesse consiste à rechercher le plaisir et à éviter la peine, recommandait la tempérance et la modération pour éluder les conséquences pénibles des excès. Elle accorda une large part aux plaisirs de l'esprit à côté des plaisirs du corps : "posséder et n'être pas possédé". Cette école fut éclipsée par l'épicurisme.
On voit donc qu'il s'agit d'un pays ayant déjà une longue histoire, propère et civilisé, ayant donné aussi bien des négociants et des guerriers que des penseurs, et en contact permanent avec ses voisins. On retrouve dans ce récit un rapprochement entre deux périodes historiques séparées par pas moins de 6 siècles !
LES GARAMANTES
Dans l'album, on les rencontre sous le nom de Garmantes et présentés comme un peuple africain. En fait, ils vivaient au sud de la Libye, près du massif du Fezzan, nommé Phazanie à l'époque.
Leur nom signifie "les gens des maisons", en berbère ancien. Les nomades de la région désignaient donc ainsi des sédentaires. Ils étaient prospères, grâce au commerce trans-saharien entre les pays méditerranéens et ceux de la savane africaine, vers le fleuve Niger et Gao. Carthage était leur principal débouché, pour l'ivoire, les métaux précieux et les esclaves. Ils constituaient également la cavalerie carthaginoise, étant éleveurs de chevaux et conducteurs de chars à 4 chevaux. Ils cultivaient des céréales, des légumes, des dattiers, des figuiers et la vigne. Il fallait 30 jours de caravane ( puis seulement 20 jours par une meilleure route ) pour aller de leur capitale, Garama, à Leptis Magna, sur la côte, près de Tripoli.
Je ne donne pas habituellement d'informations sur des évènements postérieurs à l'époque d'Alix, mais ceux-ci me paraissent intéressants. En -20, le proconsul romain Cornélius Balbus partit à la conquête du pays des Garamantes et s'empara de Garama, aujourd'hui : Germa. Il s'ensuivit une révolte, puis la paix, mais en 70, les Garamantes aidèrent les habitants d'Oea ( Tripoli ) à piller Leptis Magna. La Pax Romana ne s'étendra sur la région que sous le règne de Septime Sévère ( 193-211 ) qui était né à Leptis Magna en 146.
Les routes devenant enfin sûres, le commerce se développa et ce fut l'apogée des Garamantes, qui se convertirent au christianisme en 569.
Auparavant, sous Domitien, entre 83 et 92, un émule d'Alix, Julius Maternus, accompagna le roi des Garamantes au pays d'Agysiarba ( situé entre Aïr, Tchad et Tibesti ), "où abondent les rhinocéros". Son voyage dura 4 mois et 14 jours.
Que reste-t-il des Garamantes ? Outre Garama, l'ancienne capitale, avec son mausolée romain datant du règne de Domitien, les vestiges sont nombreux. Les nécropoles de l'oued El-Agial comptent 60 000 sépultures, dont des pyramides en argile ou revêtues de pierres, et on y a retrouvé des objets en verre venant de Gaule, d'Italie et de Syrie. Près de là, Ziuchecra est le plus ancien site d'habitat, avec 300 maisons. A Ganiat Gebril du I° au III ° siècle, on trouve des ateliers de céramiques, de forgerons, de vanniers et de tisserands.
Dans l'Antiquité, le pays des Garamantes était célèbre pour ses gemmes, escarboucles et amazonites, mais les "émeraudes des Garamantes", chères à Théodore Monod, restent du domaine de la légende.
Dans "Don Quichotte", Cervantès donne à un roi des Garamantes le nom de Pentapolin, manifestement inspiré de la Pentapole de Cyrénaïque ; il n'était pas le premier à prendre Le Pirée pour un homme !
Et voilà ! A vous de commenter !