Et voilà, c'est un retour aux sources, ou à l'origine, comme vous voudrez. Dans cette histoire, qui est la mise en place du héros et de son environnement, les thèmes sont foisonnants, ce qui explique que ces commentaires sont un peu plus copieux que d'habitude, et peut-être aussi parfois plus austères.
Je me suis entre autres amusé à reconstituer l'itinéraire de notre héros dans cette première aventure, et aussi imaginer sa vie antérieure, d'où il venait, ce qu'il avait fait avant notre rencontre...
C'est parti pour un nouveau voyage dans l'espace et dans le temps...
ALIX L'INTREPIDE
Première aventure d'Alix
Le résumé
L'histoire commence à Khorsabad, en Mésopotamie, pendant la guerre entre Rome et les Parthes. Marsalla, un général romain qui n'aurait pas dû se trouver là, découvre un jeune Gaulois, Alix, dont il tente vainement de se débarrasser. Celui-ci est ensuite recueilli par des Parthes qui poursuivent les Romains. Après les avoir quittés, Alix rencontre d'autres personnages, tantôt bienveillants, tantôt inquiétants, et finit par arriver à Rome où il retrouve Marsalla. Mais entre temps, Alix est devenu citoyen romain...
Quand cela se passe-t-il ?
L'événement historique qui ouvre les aventures d'Alix est la bataille de Carrhes, au cours de laquelle l'armée parthe de Suréna vainquit les légions romaines de Crassus ; elle eut lieu le 28 mai -53.
L'épisode suivant, Le sphinx d'or, qui enchaîne sur celui-ci, commençant en septembre -52, cette première aventure d'Alix dure environ quinze mois, mais très inégalement répartis : quelques jours ou quelques semaines au début et à la fin, entrecoupés par une séquence romaine résumée en une seule image, page 32 !
Où cela se passe-t-il ?
On se déplace beaucoup, dans ce récit, qui commence à Khorsabad, puis on traverse l'Arménie et on arrive à Trébizonde ; après un voyage maritime au cours duquel on rencontre des pirates, nous voici à Rhodes ; nouvelle croisière pour arriver à Rome ; l'histoire se poursuit à Vulsini et s'achève au pied des Alpes ( voir plus loin, le chapitre : Les lieux ).
Le contexte historique
Nous sommes à la fin de la République romaine, qui est gouvernée par le « triumvirat » Pompée-Crassus-César. Tandis que ce dernier, nommé par le Sénat proconsul des Gaules conquiert méthodiquement le pays depuis -58, à la fois pour s'assurer la gloire militaire et une fortune qui lui permettra de payer ses dettes, Pompée est le maître de Rome. Pour le « Grand Homme », comme il se fait appeler ( Pompéius Magnus ), la gloire et la fortune sont déjà là : ses campagnes en Espagne contre Sertorius, en Orient contre Mithridate et contre les pirates lui ont accordé l'une et l'autre ; ce bon stratège est très populaire, mais c'est un mauvais orateur et un piètre politique.
Quant à Crassus, on dit que c'est l'homme le plus riche du monde, sa fortune étant estimée à 170 millions de sesterces, pas tous acquis honnêtement... mais il lui manque la gloire militaire : même celle de son modeste succès contre Spartacus lui a été soufflée par Pompée, arrivé en ouvrier de la onzième heure. Alors, bien que Pompée ait signé un traité de paix avec les Parthes, dix ans plus tôt, Crassus le dénonce et se met en tête de conquérir leur royaume qui, accessoirement, contrôle l'accès de la Route de la Soie et des richesses de l'Asie qu'elle apporte. A la fin de l'année -54, le voilà à Antioche, à la tête de sept légions dont une de cavaliers Gaulois fournie par César. Pendant que Crassus perd son temps à piller le Proche-Orient, jusqu'au temple de Jérusalem, Suréna renforce l'armée Parthe.
La confrontation aura lieu à Carrhes. Je vous invite à relire le récit de la bataille, donné, schéma à l'appui, par Diégo dans son analyse de Iorix le grand, sur le site Alix l'intrépide.
Comment est racontée l'histoire
Jacques Martin a maintes fois raconté comment la première page d'Alix, fournie à l'éditeur de Tintin à titre « d'échantillon », fut publiée sans qu'il en soit prévenu et comment on lui réclama précipitamment la suite...
Il faut croire qu'il avait soigneusement préparé son affaire, accumulant références et documentation, car on ne sent guère l'improvisation.
Au début, cependant, il n'y a pas d'intrigue : Alix rencontre des Romains, des Parthes, traverse l'Arménie, comme si c'était une période d'observation, mais tout change avec l'arrivée d'Arbacès, puis de Galla, et Alix doit faire face à des enjeux de plus en plus importants, au péril de sa vie. Le scénario est serré et les rebondissements fréquents.
Si le caractère de notre héros est déjà bien fixé, et ne variera plus guère, le dessin se cherche : l'auteur n'a pas encore mis au point le style « martinien » que l'on trouvera quelques épisodes plus loin, bien que les attitudes des personnages soient déjà bien présentes. Les décors sentent parfois le dessin d'architecte et la couleur, assez neutre, ne les met pas en valeur.
Tout cela évoluera donc par la suite, mais après un départ qui aurait pu mener n'importe où, on voit le récit prendre de l'ampleur tout en conservant sa ligne directrice, et Alix, qui ne cherche d'abord qu'à sauvegarder son existence, se voit vite confronté aux exigences de la politique, et il ne s'en affranchira plus à l'avenir. Haute ou basse, la politique ? Ne cherchez pas : à Rome autrefois, comme partout aujourd'hui, il n'en existe que d'une espèce, et si les moyens diffèrent parfois, les fins, le pouvoir et la fortune, n'ont pas beaucoup changé.
Alix avant Alix : essai de biographie
Au début des aventure d'Alix, Jacques Martin dit avoir donné à son héros quinze ou seize ans. Comme il n'est pas tombé du ciel à Khorsabad, il a bien dû passer quelque part les premières années de sa vie, et il n'est certainement pas resté inactif.
Pourtant, à ce moment-là, on sait assez peu de choses sur lui et on n'en apprendra guère plus par la suite. Lorsque son portrait s'affinera, ce sera au fil de ses aventures, et il permettra de préciser certains aspects de sa personnalité, par exemple son rapport avec le pouvoir, ou ses relations, souvent controversées, avec les femmes. Mais on reviendra rarement en arrière, sur ses premières années, aussi est-il intéressant de faire le point à ce sujet.
A part son âge, que sait-on de lui ?
Il est Gaulois, il est esclave ( on verra que c'est discutable ), il sait monter à cheval et combattre ( deux talents qui ne « collent » pas tellement bien avec son statut servile ), il connaît au moins une autre langue que la sienne, certainement le grec, la langue commune de tous les gens cultivés de l'époque, ce qui lui permet de converser d'égal à égal avec Suréna, alors que son interlocuteur est général en chef et premier ministre du roi des Parthes. Drôle d'esclave, en vérité !
Par la suite, grâce à Galla, on apprend qu'il est le fils d'un chef gaulois et que ses parents ont disparu pendant la guerre des Gaules, tandis que lui-même était vendu comme esclave.
Correction un peu plus tard : nous apprenons alors la participation des siens à la légion de cavalerie gauloise sous les ordres de Crassus à Carrhes ( dans Iorix le grand ) et nous le voyons arriver à Khorsabad après avoir voyagé avec cette armée et perdu de vue le reste de sa famille ( dans C'était à Khorsabad ).
Enfin, dans plusieurs épisodes, nous constatons sa maîtrise à la conduite des chars de course, avec succès, puisqu'il gagne généralement ; à plusieurs reprises également, il se retrouve contraint de combattre comme gladiateur, toujours avec succès. Or, ces deux « métiers », difficiles et dangereux, ne s'improvisent pas et mettent du temps à s'apprendre.
Ces éléments disparates sont à peu près tout dont nous disposons pour esquisser une biographie sommaire du personnage, sans compter que certains sont contradictoires entre eux et avec les faits historiques et de société. C'est pourtant suffisant pour reconstituer sa vie en s'en tenant au plus vraisemblable.
Cette histoire commençant en -53, Alix est né en -69 ou -68 en Gaule. Rappelons que les opérations militaires de la guerre des Gaules n'ont commencé qu'en -57, Alix ayant alors 11 ou 12 ans, et ces opérations ne concernaient que la Gaule Belgique, entre Seine et Rhin, et la façade océane, pas encore l'intérieur du pays, qu'il a en fait quitté en -54, on verra comment.
Où est-il né ?
Si on s'en tient au seul critère géographique, cet album ne nous en dit rien ; fort heureusement, deux autres albums sont un peu plus bavards. Dans Le sphinx d'or, nous voyons Alix revenir au pays, alors que le siège d'Alésia se déroule non loin de là. Un peu plus tard, la localisation de ce pays, où il retrouve son cousin Vanick, est plus précise dans Vercingétorix : entre la Saône et Alésia. Ce territoire est celui des Eduens, un riche et puissant peuple Celte, allié de longue date des Romains, sauf pendant une brève période de l'année -52, lors de la campagne de Vercingétorix.
Mais les révélations de Galla nous disent tout autre chose : pour qu'un peuple Gaulois soit vaincu de la manière dont il le raconte, il aurait fallu qu'il soit Belge, Armoricain ou Aquitain, et que l'événement se soit déroulé entre -57 et -54.
Pourquoi cette dernière date ? Parce que si Alix a suivi l'armée de Crassus, avec ou sans sa famille, les légions étaient à pied d'œuvre en Orient dès l'automne -54, et on sait que Crassus perdit ensuite son temps à piller la région jusqu'en mai -53, une aubaine pour les Parthes. Or, les Eduens ne se joindront à la révolte qu'à l'été -52, après Gergovie.
Que peut-on conclure de ces indications ? Seul le critère géographique me paraît pertinent, en éliminant les peuples trop éloignés dont il n'est jamais question dans les récits : Alix est un Eduen, c'est l'hypothèse la plus vraisemblable. Ce peuple étant romanisé depuis longtemps, Alix n'aura pas beaucoup d'efforts à faire pour devenir citoyen romain par adoption.
Fils de chef Gaulois, Alix appartient donc à une famille aristocratique Celte.
Ces nobles possèdent la terre que des paysans cultivent pour eux. Autour des nobles gravitent leurs « clients », les ambactes : guerriers sans fortune, paysans ou artisans à qui le noble donne des biens ou des denrées en échange d'un service militaire. Les nobles choisissent parmi eux leur roi ou leur magistrat suprême, le vergobret ; ceux-ci sont élus et leur charge n'est pas, en principe, héréditaire.
Seuls les nobles sont assez riches pour posséder des chevaux et disposent d'assez de temps pour recevoir un entraînement militaire très poussé. Du point de vue de l'équipement, rien ne ressemble plus à un légionnaire romain qu'un guerrier gaulois, d'autant plus que les Celtes, habiles métallurgistes, approvisionnent toutes les armées ; ce sont eux qui ont inventé la cotte de mailles, que portent tous les soldats de l'époque.
On voit donc qu'Alix était bien placé pour recevoir une bonne formation aux armes et à l'équitation ; il reçut également une bonne culture générale, puisqu'on le voit s'exprimer sans difficultés en grec et en latin. A son époque, les druides n'étant déjà plus chargés de l'éducation des jeunes nobles ( voir mon commentaire sur La cité engloutie ), il est probable qu'il a disposé d'un précepteur ( grec, naturellement ), et d'un maître d'armes. Comme il devait en outre avoir quelques loisirs, je suppose qu'il ne les consacrait pas seulement à la chasse, et c'est certainement là qu'il apprit, pour s'amuser, à si bien conduire les chars et aussi à combattre comme un gladiateur. En effet, ces deux « métiers », bien que parfois occupés par des hommes libres ( voir, dans mon étude sur Les légions perdues, le chapitre : Dans l'arène ), étaient considérés comme des métiers d'esclave, déshonorants pour un citoyen de haute lignée ; mais ceux-ci se distrayaient parfois en s'entraînant et en cherchant des émotions, sûrement pas pour faire carrière, d'autant plus que l'armement et les méthodes de combat n'avaient rien à voir avec ceux des militaires.
Tout cela a donc bien occupé Alix jusqu'à son adolescence et il est en pleine possession de ses moyens lorsque nous le trouvons lancé dans ses aventures : il aurait pu avoir une moins bonne préparation à ce qu'il allait vivre !
Mais comment Alix s'est-il retrouvé en Orient ?
Il paraît difficile de retenir la version de Galla, qui est là pour renforcer l'aspect romanesque et dramatique du récit, mais qui se trouve corrigée par la suite, ainsi que l'appartenance d'Alix à un autre peuple que celui des Eduens, que rien ne vient appuyer. L'hypothèse la plus probable est que des membres de sa famille, ou de son clan, se sont engagés volontairement comme cavaliers mercenaires dans l'armée de Crassus, peut-être sur l'instigation de Galla et de César ; ce dernier devait « rembourser » Crassus, qui avait payé une partie de ses dettes, en lui fournissant un contingent de cavalerie levé en Gaule. Il n'y avait pas eu de contrainte, mais seulement l'attrait du butin. On sait que les choses, à Carrhes, se sont mal terminées pour les Gaulois comme pour les Romains, mais sans cela, il n'y aurait pas eu d'aventures d'Alix. Et voilà comment celui-ci s'est retrouvé vraisemblablement prisonnier de guerre, ce qui, à l'époque, était synonyme d'esclave, sauf si une rançon pouvait être payée.
Noble Gaulois, Alix est-il devenu un noble Romain après son adoption ?
Oui, certainement, car il appartient désormais, selon toute vraisemblance, à la classe équestre ; les chevaliers étaient ceux qui, à l'origine, devaient le service militaire à cheval, considéré à juste titre comme le plus onéreux. Pour être chevalier, il fallait posséder 400 000 sesterces de biens fonciers, comme pour les sénateurs, mais à la différence de ceux-ci, les chevaliers pouvaient librement investir et commercer, et ils ne s'en faisaient pas faute. Au fil du temps, ils obtinrent les mêmes pouvoirs que les sénateurs, et ils purent défendre leurs intérêts dans toutes les instances de la vie publique et économique. Sans cela, Galla n'aurait pas été général en Gaule, ni gouverneur à Rhodes.
Tout cela n'est pas dit, ni montré, mais peut se déduire du train de vie apparent d'Alix à Rome, ainsi que de ses relations sociales. On ne voit que sa maison familiale de Rome, mais on sait qu'il doit posséder également des biens fonciers, sans doute des fermes en Italie, et probablement aussi des parts dans des fabriques ou des navires. En tout cas, il est visiblement à l'aise, à la différence d'Enak, qui ne possède rien, sauf son titre ( discutable ) de « prince », et qui ne subsiste que grâce à la générosité de son ami.
Toutefois, Alix n'est pas patricien, contrairement à ce qui est parfois dit, tout simplement parce qu'un nom de patricien se termine obligatoirement en « ius », mais le nom en « ius » ne suffit pas pour faire un patricien : ainsi, C. Julius César et M. Licinius Crassus sont patriciens, mais C. Pompéius Magnus n'est que chevalier. Un Graccus n'est donc pas patricien ; à cette époque, il ne restait qu'une quinzaine de familles ( gens ) patriciennes, avec toutefois de nombreuses branches, soit quelques centaines de personnes seulement. Cela n'empêchait pas qu'on pouvait être noble tout en étant issu de la plèbe, comme l'étaient de nombreux chevaliers : la nobilitas s'acquérait par l'exercice de magistratures lorsqu'on était élu consul, prêteur, censeur, questeur ou édile. Il ne faut pas non plus confondre son nom avec celui de Tibérius et Caïus Gracchus, les célèbres « Gracques », qui vivaient au siècle précédent et dont le nom de famille était d'ailleurs Sempronius, Gracchus n'étant que leur surnom ( cognomen ).
Vous trouverez un commentaire sur l'adoption dans l'étude sur L'enfant grec, chapitre : Citoyens Romains.
Justice romaine
Quant à la justice romaine en matière criminelle, à laquelle Alix se trouve confronté à la fin de cette aventure, elle relevait d'un collège de magistrats et non plus, comme aux premiers temps, d'un jury populaire. Chaque type de crime avait sa procédure spécifique, mais il est peu probable qu'elle était aussi expéditive ( pour plus de détails, voir : Roma, Roma... )
Les lieux de l'aventure
Revenons au périple d'Alix et aux nombreux endroits qu'il a fréquenté au cours de celui-ci.
Khorsabad
Nommé à l'origine Dûr-Sharrukin, « forteresse de Sargon », ce n'est plus qu'un petit village de l'Irak, à 15 km à l'est de Mossoul. En -713, l'empereur assyrien Sargon II ordonna la construction d'un nouveau palais au nord de Ninive. Cette cité rectangulaire mesurait 1760 m sur 1635 m pour 300 hectares. Ses murailles étaient protégées par 157 tours et étaient percées de sept portes, correspondant aux principales routes de la région. Une terrasse pavée accueillait le palais royal et les temples, ainsi qu'une ziggourat. La cour s'y installa en -706, mais Sargon mourut au combat l'année suivante. Son fils et successeur Sénachérib revint à Ninive. La cité inachevée fut abandonnée un siècle plus tard lors de la chute de l'empire assyrien. Il est fort peu probable qu'un trésor y soit resté intact pendant six siècles, s'il s'y trouva jamais. D'ailleurs, au temps d'Alix, la cité était déjà en ruines et inoccupée. Elle fut fouillée par des archéologues français au XIX° siècle, ce qui vaut à une partie de ses statues et bas-reliefs de se trouver au Louvre... et une autre partie au fond du Tigre, où le bateau qui la transportait coula en 1855, et jamais retrouvée.
L'Arménie
De Khorsabad à Trébizonde, Alix traverse le royaume d'Arménie, qui, chose curieuse, n'est jamais nommé. En -610, les Haïkans, une tribu thraço-illyrienne, se fixe en Médie, où elle se mélange pacifiquement aux anciennes tribus autochtones, formant un État indépendant ; le nom d'Arménie n'apparaît qu'en -520. La région passe successivement sous la tutelle des Mèdes, des Perses et des Macédoniens d'Alexandre ; elle prend à cette occasion une forte teinture hellénistique qu'elle ne quittera plus. En -190, les Grecs ayant été battus par les Romains, l'Arménie redevient indépendante. En -95, son roi Tigrane le Grand fonde un vaste empire qui va du Caucase à Mossoul et de la Caspienne à Antioche. Mais Rome finit par s'inquiéter de sa puissance et, en -66, il est vaincu par les légions de Pompée ; le pays devient un protectorat romain, tout en restant gouverné par ses rois ; au siècle suivant, il sera partagé entre Rome et les Parthes. Je n'ai pas trouvé à quelles invasions et persécutions visant les Haïkans le chef Gora faisait allusion : à cette époque, le pays était en paix.
Trébizonde
C'est l'ancienne Trapézonte grecque, fondée en -756 par des colons de Milet. C'est de là que Xénophon et ses Dix-Mille aperçoivent enfin la mer après leur retraite de l'empire Perse. ( L'Anabase, -IV° siècle ). Indépendante pendant la domination Perse, elle est intégrée par Alexandre au royaume du Pont, puis annexée par Rome en tant que cité libre ; elle resta très prospère. Elle fut la capitale d'un empire grec aux XIII° et XIV° siècles. C'est aujourd'hui la ville turque de Trabzon, 200 000 habitants.
Rencontre avec les pirates
Voir l'article que j'ai consacré à cette honorable profession dans l'analyse de La chute d'Icare.
Rhodes et son colosse
Peuplée par les Doriens, l'île commerça surtout avec la Grèce et l'Égypte. Elle conclut un traité avec Rome en -164. Son école de philosophie, où étudièrent Pompée et Cicéron, était célèbre.
Le colosse fut érigé en commémoration d'un siège qui eut lieu en -305 et qui échoua. La statue, d'une hauteur de 32 m, représentait Apollon-Hélios et était considérée comme la 6° des sept merveilles du monde. C'était l'œuvre de Charès de Lindos ( autre ville de l'île ), qui se suicida en découvrant une erreur dans ses calculs ; un de ses assistants les corrigea. C'était parti pour 12 ans de travaux.
A partir de là, les historiens ne sont plus d'accord. Sur l'emplacement de la statue d'abord : elle ne pouvait se trouver dans la posture traditionnellement représentée, enjambant l'entrée du port, un pied sur chaque jetée ; l'écart, d'environ 40 m, aurait été trop grand pour sa taille ; on pense qu'elle pouvait être érigée, soit sur les hauteurs de l'île, ou en contrebas de l'Acropole, ou encore sur un côté du port, et peut-être adossée à une falaise. Sur sa composition ensuite : sur un socle de marbre, elle aurait été constituée d'un bâti de bois recouvert de plaques de bronze, mais ces matériaux semblent difficilement compatibles avec sa hauteur pour des raisons de solidité ; alors, une statue de pierre recouverte de bronze ? La représentation qu'en fait Jacques Martin est néanmoins vraisemblable.
Toujours est-il que les Rhodiens n'en profitèrent pas longtemps : terminée en -292, un séisme la jeta bas en -226. L'oracle de Delphes aurait interdit aux habitants de la relever. Ses débris restèrent sur place jusqu'en 653, date à laquelle ils furent vendus : il y avait 13 tonnes de bronze et sept tonnes de fer. Il n'en reste absolument plus rien...
Rome
Décrire en détail Rome à la fin de la République dépasserait largement le cadre de cet article. C'est l'époque où la population urbaine s'accroît considérablement sous l'effet de la transformation des structures économiques et sociales ; la petite propriété paysanne disparaît, remplacées par les grandes exploitations fondées sur le système esclavagiste. D'énormes quartiers d'habitations sont crées, avec pour corollaires : la spéculation immobilière, les effondrements et les incendies. Des architectures monumentales et de prestige transforment Rome en une capitale comparable aux grandes villes hellénistiques avec le concours d'architectes et d'artistes grecs, et comprenant notamment des nouveaux temples, des aqueducs et des magasins portuaires. La ville commence à se sentir à l'étroit dans son enceinte archaïque, dite de Servius, pourtant récemment étendue, dont le périmètre de 11 km englobe 427 ha : des faubourgs poussent à l'extérieur.
Citons deux réalisations d'importance de l'époque :
Le théâtre de Pompée : construit au Champ de Mars entre -61 et -55, c'est le premier théâtre en pierre à Rome ; pour conserver l'aspect sacré donné aux représentations théâtrales, un temple dédié à Vénus Victrix se trouve au sommet des gradins ( on les voit bien page 19 de Roma, Roma ).
Le forum de César : construit de -54 à -46 ; sur les côtés de la place s'élèvent les grandes basiliques destinées à abriter les procès, ainsi que les transactions financières et bancaires ; il sera le modèle des futurs forums impériaux.
Mais à part la demeure d'Alix et quelques rues, on voit assez peu de choses de Rome dans cet album, à l'exception du :
Cirque Maxime : siège des courses de chevaux et de chars depuis les débuts de la cité ; ses installations furent d'abord en bois, le premières structures en pierre datant du -II° siècle ; il pouvait contenir 250 000 spectateurs.
On voit aussi un amphithéâtre qui évoque le Colisée, mais celui-ci ne fut construit qu'un siècle plus tard, sous Vespasien ; son nom est d'ailleurs : l'amphithéâtre Flavien ; il pouvait contenir 60 000 spectateurs. Au temps d'Alix, les spectacles avaient lieu sur le Forum Boarium ( le forum aux bestiaux ), près du Champ de Mars, la place servant d'arène, avec des galeries de service creusées par en dessous et des gradins de bois autour pour les spectateurs. Le premier amphithéâtre en pierre de Rome ne fut construit qu'en -29. Les amphithéâtres servaient pour les spectacles de gladiateurs ( munera ), les batailles navales ( naumachies ), et les chasses aux fauves ( venationes ).
Vulsini
Cette ville se situe à 100 km au nord de Rome ; c'est aujourd'hui Bolsena, près du lac du même nom. Alix y retournera au début des Légions perdues.
Les personnages
Alix : si son aspect physique n'est pas encore celui auquel les albums suivants nous habitueront, son caractère est déjà bien affirmé et s'étoffe au fil des pages. D'abord simplement soucieux de sa survie, ce qui est légitime, il gagne en audace au fur et à mesure que les événements se précipitent à sa rencontre, et on découvre vite qu'il sait être altruiste et dévoué. Il est bientôt confronté à des questions politiques qui le dépassent un peu, mais desquelles il se tire honorablement. Dès qu'il s'agit d'action, on le sent à son affaire, mais chez lui, la réflexion approfondie entraîne parfois le doute. C'est pourquoi il tient encore aux images paternelles réconfortantes, comme Galla, Toraya, voire César, qui compensent l'inexpérience de sa jeunesse. Fort heureusement pour lui, il ne désespère jamais.
Et, par ordre d'entrée en scène :
Marsalla : voilà un général romain fort soucieux de ses intérêts et peu regardant sur le choix des moyens ; il faut dire qu'il était à bonne école : son chef Crassus ne venait-il pas de passer plusieurs mois à piller la région ? Son équipée à Khorsabad est du même ordre, tout comme elle signifie pour lui le début des ennuis : il ne va plus cesser de s'enfoncer, malgré l'alliance avec Pompée, vers une issue fatale. Pour avoir voulu s'enrichir au lieu de combattre, cet homme peu scrupuleux est devenu un perdant.
Suréna : le général des Parthes est aussi le premier ministre de son roi, Orodès II. On ne sait pas avec certitude si Suréna est son nom ou son titre : les historiens penchent plutôt pour la seconde solution, ce qui voudrait dire « général en chef ». C'est un personnage conscient de sa valeur, et on comprend pourquoi : battre l'armée romaine n'est pas à la portée de tout un chacun, mais il sait reconnaître la valeur d'autrui quand il la rencontre en la personne d'Alix, et le grand seigneur devient comme un compagnon d'armes. Orodès, jaloux de ses succès contre les Romains et les Arméniens, le fera assassiner ( voir l'album : C'était à Khorsabad ). En dehors de Jacques Martin, peu d'auteurs se sont intéressés à lui ; seul, Pierre Corneille lui a consacré sa dernière tragédie, en 1674 : ce n'est pas son chef d'œuvre, mais quel beau français !
Marcus : « le plus vaillant officier de l'invincible armée romaine » selon Arbacès, mais il ne faut jamais croire Arbacès ! Il est surtout vaillant devant des adversaires moins bien armés que lui. C'est aussi un combinard, comme son chef Marsalla, avec lequel il cherche désespérément à se sortir du guêpier où il se sont fourrés par esprit de lucre, et malgré ses efforts, il n'y réussira pas plus que lui.
Toraya : ce sympathique colosse est ému par la détresse d'Alix, qui lui rappelle son fils disparu. Il profite de cet incident pour régler quelques comptes avec son chef, n'étant pas d'accord avec sa conception de l'accueil des étrangers. N'ayant plus rien à perdre après son esclandre, il s'enfuit avec son protégé, et un séisme leur apportera une aide opportune. Par la suite, il partagera un temps le destin d'Alix et tombera, victime de son dévouement, en essayant de le tirer d'affaire une nouvelle fois. Il représente l'une de ces figures paternelles qu'Alix rencontre de temps à autre et qui viennent compenser la disparition de sa lignée naturelle.
Quintus Arenus : le proconsul de Trébizonde ne fait que passer, mais il représente bien le magistrat romain de l'époque : tout puissant et sûr de son fait, mais ne dédaignant pas à l'occasion un petit pourboire. Alix le retrouvera dans : La chute d'Icare et Roma, Roma.
Arbacès : c'est bien connu, une histoire est d'autant meilleure que le méchant est parfait ! Celui-ci commence sur un mode mineur, connaît quelques déboires avec la concurrence, et termine avec une montée en puissance tout à fait remarquable, et on n'a pas encore tout vu. Le voilà devenu l'homme de confiance de Pompée, qu'il semble connaître de longue date. On peut d'ailleurs se demander pourquoi il exerce tout d'abord ses talents si loin de son patron, mais il faut se souvenir que Pompée avait combattu en Orient contre Mithridate, de -66 à -62, pour soumettre les territoires anatoliens devenus provinces romaines ; leur complicité doit venir de là. Avide et sans scrupules, il rebondit à chaque fois qu'on le croit abattu, toujours pour retrouver sur son chemin cet Alix à qui il ne fait pas de cadeau ( il lui en a pourtant fait un d'importance : sa fameuse tunique rouge dont on peut voir le premier exemplaire page 22 ! ). Le nom d'Arbacès a déjà servi pour un autre « méchant » : le prêtre égyptien des « Derniers jours de Pompéi », roman écrit par Bulwer Lytton en 1834.
Honorus Graccus Galla : c'est, selon toute évidence, un brave homme que la seule trahison qu'il ait commise dans sa vie obsède jusqu'à la fin. Quand il a l'occasion d'offrir une compensation à celui qu'il a lésé, il n'hésite plus et donne à Alix une famille, un nom, une fortune et la considération. Ce n'est pas rien, et son souvenir servira souvent de caution à Alix par la suite. Mais il disparaît très vite, laissant Alix orphelin pour la seconde fois.
Rufus : cet agent de César est un officier dévoué et efficace, tout le contraire de Marcus quant à la mentalité. Il sait toujours ce qu'il a à faire et le fait bien sans se poser de questions.
Les personnages historiques : Pompée, César, Labiénus : à l'époque où se déroule la seconde partie de cette histoire, au milieu de l'année -52, Pompée est seul à Rome.
En effet, depuis sa nomination en -59 comme proconsul de Gaule Cisalpine, Gaule Transalpine et Illyrie, et jusqu'au passage du Rubicon le 12 janvier -49, César ne remet pas les pieds à Rome. Il risquait d'être mis en cause devant la justice pour des accusations d'illégalités commises pendant son consulat, mais la Lex Memmia interdisait toute poursuite contre un citoyen absent de Rome pour le service de la République, à condition qu'il ne revienne pas dans la ville. Les affaires de César étaient alors gérées à Rome par son secrétaire, le chevalier d'origine espagnole Lucius Cornélius Balbus.
Quant à Labiénus, adjoint de César en Gaule, il n'a pas non plus quitté ce pays ; on trouvera son portrait dans : La cité engloutie.
Alix n'aurait donc pas pu, dans la réalité, rencontrer César à Rome, mais le roman permet tout, à commencer par faire passer Pompée pour un infâme conspirateur, et ça ne s'arrangera pas dans les récits suivants. Pourtant, Pompée n'aurait pas eu besoin de jouer un tel rôle.
Pourvu de la gloire militaire à la suite de ses campagnes en Espagne contre Sertorius, en Orient contre Mithridate et contre les pirates, Pompée était riche et immensément populaire. Mais ce n'était pas un tribun, seulement, pour son malheur, un politicien maladroit, hésitant et mal conseillé. Pour l'instant, il cherchait plutôt les accommodements avec César et ne rompit réellement avec lui qu'après le coup de force du Rubicon qui allait entraîner la guerre civile.
César, lui, est un politicien dans l'âme depuis toujours. Patricien ruiné et endetté, il s'est enrichi au fil de ses campagnes, en particulier celle dans les Gaules. Il y a aussi gagné une armée puissante, entraînée, disciplinée et obéissante, et, pour lui-même, un immense prestige. Quand il faudra foncer, devant un Pompée peu sûr de lui, il foncera, et gagnera, mais son destin le rattrapera vite. Parfois débonnaire, parfois cruel, César était un personnage complexe dont c'est plutôt l'aspect positif et sympathique, soucieux du sort de Rome, qui nous est présenté ici quand il prend Alix à son service.
Conclusion : cette première aventure d'Alix est un peu l'ébauche de ce qui viendra ensuite, même si les principaux caractères, à commencer par celui du héros, y sont déjà. Plus tard, les scénarios seront plus serrés et le dessin perdra de sa rigidité. Mais tous les ingrédients y sont, de l'arrière-plan historique soigné, aux études physiques et psychologiques des personnages.
Sources : voir les précédentes études.
La prochaine fois : « Le sphinx d'or » ( Alésia et la guerre des Gaules, Alexandrie... )
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